Trois exposés capitaux à Moscou

18 ou 19/3/1947

 

(De notre envoyé spécial à Moscou)

La séance des Quatre d'hier après-midi, a duré plus de quatre heures.

Le mot crise est peut-être trop fort, mais on doit dire que la Conférence a atteint un de ses principaux centres d'intérêt, sinon le principal.

Trois exposés capitaux ont occupé cette séance. M. Bevi, M. Molotov et le général Marshall.

M. Georges Bidault, qui présidait, vu l'heure tardive, ne fera sa déclaration qu'aujourd'hui.

Certes, les trois orateurs se sont prononcés pour l'unité économique de l'Allemagne, mais que de divergences de vues sous cette apparence d'unanimité.

M. Bevin a déclaré, dès le début de son discours, que l'accord de fusion des zones jouera jusqu'à la réalisation de cette unité économique.

M. Molotov, au contraire, dit qu'il faut immédiatement annuler cet accord de fusion des zones. Il posa d'ailleurs plusieurs autres conditions à l'unité économique, mais surtout c'est sur la Ruhr que l'on sent la profonde faille.

M. Molotov n'a-t-il pas exigé à cette réunion qu'elle entre sous contrôle quadripartite, considérant que le statut actuel, avec contrôle économique des Anglais, viole les accords de Potsdam.

Tels sont les points culminants de cette réunion. Elle en a comporté d'autres.  Ne fût-ce que l'impuissance, sans doute justifiée, de M. Molotov à obtenir des réparations d'un montant de dix milliards de dollars et les réserves marquées par M. Bevin qui, sans avoir refusé ce chiffre, ne l'a pourtant pas accepté.

Enfin, soulignons dans l'exposé du général Marshall, un certain rapprochement vis-à-vis de nos positions. Le général Marshall reconnaît qu'on doit déterminer les principes de l'unité économique en décidant celle-ci sur les bureaux allemands ; son exposé reprend deux points de nos propres suggestions. Certes, il veut mettre les Allemands à la tête de ces bureaux. Cela ne concorde pas avec nos vues, pourtant remarquons cette évolution par rapport aux conditions prises jusqu'ici par le général Clay.

La délégation américaine me paraît depuis le début de la Conférence faite pour comprendre notre point de vue.

Par ailleurs, ces exposés sont la reprise de thèmes bien connus.

M. Bevin a demandé le relèvement du potentiel industriel allemand, mais dans les industries qui peuvent servir à la fois à la guerre et à la paix.

Il a demandé un nouveau plan de réparations qu'il qualifie de plus raisonnable. Rien là qui nous surprenne. Et quand il réclame une production d'acier plus forte, c'est un refrain souvent entonné.

De même, M. Molotov a lié la question du potentiel industriel allemand à celle des réparations.

Voilà plusieurs mois qu'il défend cette thèse. De même qu'il a réaffirmé que l'URSS pour obtenir des réparations était prête à ce que la production d'acier en Allemagne passe de 7,5 à 10 ou 12 millions de tonnes.

Toutefois, un élément nouveau dans ce rapport : c'est que les réparations sur la production courante réclamée par l'URSS lui avaient été promises dès la Conférence de Yalta. Ainsi que le montant de 10 milliards de dollars. Nous finirons par tout savoir de ces accords secrets à trois.

M. Molotov s'est livré, en outre, à une véritable diatribe contre les « monopolistes » étrangers qui voudraient étouffer l'industrie allemande.

Il a ajouté que « les peuples ont besoin que la production allemande empêche ces monopolistes d'importer leurs produits ».

Enfin, un délégué soviétique a demandé que soient liquidées les cloisons entre les zones dans l'intérêt des Alliés et dans l'intérêt des Allemands car « le peuple allemand désire transformer l'Allemagne en un État démocratique qui, avec le temps, prendra sa place avec les Nations. »

L'exposé libéral de M. Marshall n'a pas été non plus sur les points que nous avons indiqués, une nouveauté.

Nous savons déjà qu'il était partisan que tous les produits allemands soient répartis sur l'ensemble du territoire et que le déficit de la balance commerciale soit partagé entre tous les occupants. Mais les positions de nos alliés demeurent ainsi inchangées et bien loin les unes des autres. Quelle pourra être la conciliation ?

Au moment où je téléphonais, M. Georges Bidault était au Kremlin en conversation avec le maréchal Staline. Peut-être cette entrevue éclairera-t-elle une situation encore confuse.

 

Le billet de politique extérieure